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Editions Chloé des Lys
12 janvier 2016

La pièce manquante de Jacques PARADOMS

La pièce manquante
Jacques PARADOMS
15,86 € TTC,
326 pages
ISBN  978-2-87459-024-5
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9782874590245_1_75

Passionné d'histoire, de mythologie et de linguistique, Jacques
Paradoms s'est d'abord essaye dans tous les genres, de la poésie
aux articles historiques, en passant par l'humour noir et les
contes pour enfants avant de se spécialiser dans le fantastique.
Sauf quelques incursions outre-Quiévrain et dans l'Océan Indien,
la vie de famille â momentanément sédentarisé à Soignies
ce Brainois grand voyageur dont les récits continuent à s'inspirer de ses rencontres.
LA PIECE MANQUANTE

(Résumé)

 

Silviane réemménage dans la maison de son enfance après vingt ans d’absence.  Elle ne tarde pas à s’y trouver à l’étroit.  « La demeure, massive de l’extérieur, lui semblait, tel un échiquier qui n’eût que soixante-trois cases, plus étroite à l’intérieur qu’au dehors, comme s’il manquait une partie d’espace à son volume. »  Elle finit par découvrir une chambre murée, contenant trois cadavres anciens, un nœud de vipères bien vivantes et un cahier relatant les derniers jours des malheureux emmurés.

Elle apprend ainsi que sa « mère » n’est que la seconde femme de celui que tout le monde croyait être son père.

Dès lors, la pièce manquante est aussi celle qui manque à Silviane pour retrouver sa véritable origine.

Des tièdes printemps boréaux aux montagnes d’Asie centrale, Jacques PARADOMS entraîne le lecteur sur les traces de son héroïne dans un genre littéraire encore inédit : le suspense généalogique.

 

LA PIÈCE MANQUANTE

(Extrait)

 

Depuis un mois qu’elle avait emménagé, le même malaise la tourmentait : sans vraiment se sentir frustrée, Silviane souffrait d’un manque, comme si elle avait oublié quelque chose d’essentiel.  Au début, elle avait mis ce sentiment sur le compte de sa rupture avec Bruno.  On n’abandonne pas impunément près de cinq ans de vie commune, même si l’on n’a jamais jugé utile de légaliser cette situation parce qu’on a choisi la liberté d’union en prévision de son échec.  Elle avait toujours pressenti que cela finirait ainsi : elle exigeait trop de son compagnon ou, plutôt, elle lui donnait trop, sans rien lui demander en échange.  D’un tempérament solitaire, il n’avait jamais dissimulé sa soif d’indépendance et Silviane acceptait ses fréquentes absences d’une ou deux semaines, parfois trois.  Souvent, il se retirait seul dans des endroits isolés, pour terminer un livre.  Dans ce cas, il la prévenait.  Elle savait aussi qu’une fois le livre écrit, il s’offrirait quelques jours de fiesta.  Le plus pénible, c’était quand l’inspiration le trahissait : il traînait dans les bars, flambait ses nuits blanches au poker et s’encanaillait avec les prostituées, à la recherche d’émotions qui le fissent frissonner, disait-il.  Elle lui pardonnait tout, même les filles.  Il avait pu la convaincre que la fréquentation occasionnelle des professionnelles était moins immorale que la fornication entre gens bien.  Il estimait d’ailleurs ne l’avoir jamais trompée : sa fidélité le poussait à ne fréquenter que des brunes, par respect pour sa blondeur.  Lorsqu’il rentrait, le visage hâve couvert d’une barbe de clochard, elle n’avait pas un mot de reproche.  Elle savait qu’après cela, il serait tout entier à elle : il lui consacrerait toutes ses soirées, s’assoirait près d’elle, à côté du piano et, noyé dans ses immenses yeux pervenche, l’écouterait jouer.  Il consentirait même à regarder avec elle les niaiseries télévisées, alors qu’il ne s’intéressait qu’aux informations, aux émissions littéraires et, parfois à quelques films lorsqu’il pensait qu’ils pouvaient nourrir son imagination.  Mais sa présence autant que son indifférence feinte étaient de trop pour son compagnon.  Derrière son air de chien fidèle et le sourire contraint de ses lèvres, il lisait pire qu’un reproche : une approbation, celle de la vierge martyre heureuse de souffrir pour son seigneur.  Son dernier livre terminé et même après sa parution, il était resté maussade, s’enfermant dans le bureau ou la bibliothèque jusqu’à une heure avancée de la nuit.  Le moment le plus douloureux pour Silviane fut celui où elle s’aperçut qu’il écoutait seul de la musique : rien que des symphonies.  « J’en ai marre du piano », lui dit-il un jour et, un peu plus tard, « J’en ai marre de la télé » avant de terminer par un hargneux « Tu m’étouffes ».  Alors, sans éclat mais avec la détermination des gens calmes lorsqu’ils s’émeuvent, elle s’était effacée.  En vain, il avait tenté de la retenir ; il avait été charmant durant toute une semaine, mais le huitième jour, il était retombé dans sa morosité.  Alors, elle était partie, calmement comme la mer se retire, sans plus de regret pour son amour fini que pour un bouquet de fleurs fanées.  Et cette indifférence était peut-être ce qu’il y avait de plus triste.

Pourtant, ce n’était pas cette absence de tristesse qui lui causait cette impression de vide.  C’était quelque chose de plus subtil, à la fois plus flou et plus grave.  Elle avait l’impression de se trouver au centre d’un carré qui n’aurait eu que trois côtés, sans être un triangle pour autant : trois côtés, trois angles droits et puis plus rien. Cela ressemblait à de vagues souvenirs que la mémoire tente en vain de rattraper ou à une belle histoire dont on n’arriverait pas à se rappeler la fin.

Elle avait posé sa tête contre la vitre de la grande baie par où pénétrait à pleins flots la lumière de midi.  Son regard et ses souvenirs éclaboussaient de bleu les broussailles du jardin qui s’allongeait entre le mur de l’école et le verger contigu pour aller mourir au seuil d’autres jardins en un massif de groseilliers redevenus sauvages.  Cette maison sans style, parce que trop souvent transformée, rénovée, modernisée à différentes époques, l’incommodait d’autant plus qu’elle la connaissait peu.  Depuis vingt ans qu’elle l’avait quittée, tous ses souvenirs d’enfance s’étaient estompés.  Seules quelques images de ses jeux d’extérieur flottaient encore en sa mémoire comme des écharpes de brume matinale : la poussière du potager, à la fin de l’été, se mélangeait au verger éclatant de fleurs comme un feu d’artifice et peuplé d’énormes bonshommes de neige.  Pourquoi les printemps avaient-ils perdu leur faste d’antan et les feuilles d’automne leur fragrance de nostalgie ?  Elle comprenait que la couche de neige fût moins haute parce qu’elle avait grandi.  Pour cette même raison, le jardin et les pièces de la demeure étaient plus petits que dans ses souvenirs.  Mais le reste ?  Ce sentiment de frustration sans objet, comme s’il manquait une pièce au puzzle de sa destinée, d’où provenait-il ?

« De la maison », pensa-t-elle.

En dépit du volume des pièces aux plafonds élevés, elle se sentait à l’étroit dans cette demeure où les murs semblaient se resserrer autour d’elle.  Elle supposait que cette impression provenait moins d’une aberration de la mémoire que de l’hiatus qui avait brisé le cours de son existence entre l’instant où elle avait été brutalement arrachée à cette maison et son retour actuel.

 

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