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Editions Chloé des Lys
6 mars 2022

Les printemps de Benjamin Wiame

Auteur : Benjamin WIAME

Titre : Les printemps

Editeur : Editions Chloé des Lys

ISBN : 978-2-39018-202-3

Prix : 10,60€

Format A5

108 pages

50g

 

 

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Biographie :

Benjamin Wiame est un passionné d’écriture, qui aime les beaux mots, les illustrer, les chanter et les faire vivre, le temps d’un roman, d’un album, ou d’une chanson.

Après la publication réussie de ses deux premiers romans, il vous présente ce nouveau roman intime et personnel.

Bibliographie :

Le barricadeur de mots, Benjamin WIAME, Editions de l’Harmattan, avril 2019

Les chroniques ménagères, Benjamin WIAME, Editions de Beauvilliers, juin 2020.

 

Contact web :

bwiame@hotmail.com

https://www.facebook.com/wiamebenjamin (@wiamebenjamin)

 

Résumé :

Ce livre est l'histoire d'une rencontre qui n'a pourtant pas eu lieu. Une soirée avec mon grand-père. Des mots échangés avec ce vieil homme qui me comprenait si bien.

Un retour du boulot, dans les bouchons, dans cette routine quotidienne qui nous épuise. Ce soir, j'ai rendez-vous avec mon grand-père. Sur le quai d'une gare. Juste pour parler un peu. Prendre le temps de s'interroger sur le futur, l'amour, le travail, le temps qui passe, la politique ou même les révolutions. 

Et puis, peut-être que nous prendrons le train, tous les deux, pour un tendre voyage dans l'imaginaire. Un aller-retour.

Et puis la nuit tombera. 

Ce livre est un voyage, une pause dans nos courses folles. Prendre le temps de s'écouter, de refaire le monde et de s'en aller un peu plus loin.

 

Extrait :

 

19h22

 

La gare de Gembloux est en vue. Plus qu’à me garer dans cet immense parking, en entreprendre la traversée, tenir bon et escalader dans une immobilité toute contenue une série d’escalators. J’arrive enfin sur le quai numéro 5. Mon grand-père est là. Bien sûr qu’il est là. Il a une notion de la ponctualité qui me dépasse complètement. Être à l’heure, selon sa définition, c’est être follement en avance, c’est être à peine parti. J’ai toujours un problème avec le temps. Il va trop vite. Vous connaissez sûrement cette métaphore du temps, voulant que si l’on remplit un vase de grosses pierres, il nous reste la possibilité d’y verser encore des gravillons pour le remplir encore. Puis du sable. Puis de l’eau. Eh bien dans mon cas, je pense que le vase déborderait sans arrêt. Je n’y ai jamais trouvé de remède. Ou peut-être que si. Mais c’est impossible. Enlevons les grosses pierres et on pourra mettre bien plus d’eau.

 

Mon grand-père est là, assis sur le petit banc. Il regarde des hommes en ciré jaune, s’affairant à faire je ne sais quoi. Peut-être que lui sait. Ou peut-être se dit-il : « De mon temps, ce n’était pas comme ça. ». Il sourit en tout cas. Il a l’air bien juste là. Il a l’air d’être chez lui. En réalité, les gens ne changent pas. Et les trains non plus. Les gens vivent et les trains passent. Depuis toujours. Je m’approche de lui. Il m’aperçoit et me sourit. Je me pose sur sa joue et y laisse un baiser. Puis m’assieds à ses côtés.

 

- Salut grand-père, ça va ?

- Ça va. Et toi fiston ? Toujours amoureux ?

- Toujours.

- Toujours pas eu le temps de faire ta barbe ?

- Toujours pas.

- Et la petite fille ?

- Elle sourit beaucoup. Tout le temps en fait. Elle tient ça de toi, je pense.

- Elle a bien raison. Il faut sourire dans la vie. Sinon elle a l’impression de gagner. Sourire, sourire et encore sourire. Même s’il faut parfois s’y forcer. Mais sourire encore.

 

Je lui ai souri, comme pour lui donner raison.

 

- Tu m’as l’air un peu fatigué ?

- C’est le moins qu’on puisse dire. Je suis crevé. Mais c’est l’histoire de ma vie. Le temps passe si vite.

- C’est ton boulot qui te fatigue comme ça ?

- Oui, en grande partie je crois.

- Vous êtes vite fatigués vous, les jeunes…

- Tu vas me dire que de ton temps le travail était bien plus dur et que le confort de vie était loin d’atteindre celui dans lequel on se complait si bien.

- Oui, quelque chose comme ça.

- Une bonne guerre, peut-être aussi ?

 

Mon grand-père ne répondit pas. Il savait que je connaissais ses arguments, pour les avoir entendus si souvent, le dimanche, lorsqu’il s’énervait sur les affres des journaux télévisés, fenêtre triste d’un monde informé. Et cette vieille rengaine rendant à la guerre ses lettres de noblesse, puisqu’elle nous permet d’entrevoir ce qui compte vraiment, sans nous oublier dans ces futilités de gens gras et si bien assis sur notre paix. Mais il me connaît aussi. Il sait que l’actualité et la connaissance m’insupportent. Parce que ce n’est pas ça que je veux entendre. Parce que les malheurs y sont si condensés qu’ils en deviennent légion, qu’ils s’incrustent comme une norme, un quota minimum. Parce qu’ils replacent dans votre salon les larmes, les peurs et les conneries du bout du monde. C’est comme si, chaque soir, entre 20 et 21h, vous deviez assister à tous les enterrements de la région. Un condensé efficace des moments propres à vous arracher quelques pleurs, sur des musiques si tristes qu’elles restent dans la gorge. C’est peut-être un exemple stupide. Et pourtant la voisine du dessus est peut-être en train de mourir, pendant que vous vous apitoyez sur le sort de ces civils syriens qui prennent les armes.

 

- Tu sais, je pense qu’on ne peut pas comparer les époques, juste comme ça. Les codes changent. Et les bonheurs aussi. La difficulté de la vie aujourd’hui ne réside plus dans sa dureté, mais bien dans sa vitesse. Je pense même que nos corps sont tout autant mis à l’épreuve qu’à ton époque. Jadis, les gens mouraient d’avoir trop marché, aujourd’hui ils s’éteignent de n’avoir pris le temps de le faire. Prendre le temps. C’est une notion plutôt neuve. Un sprint capitaliste qui essouffle et qui finira par vendre des filets pour l’attraper, ce temps qui virevolte. Et pourquoi ne pas plutôt prendre le temps. Haut et court. Qu’il nous laisse en paix et que ses dernières secondes aillent grossir les titres des journaux. Ou le suspendre, le temps d’une étreinte, d’un baiser ou d’une danse.

- Dis-toi que le temps se compose toujours aussi de demain. Et que demain laisse entrevoir tant de choses.

 

Nous nous tûmes quelques secondes, pour les laisser filer, emportées par ce train qui redémarre.

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