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Editions Chloé des Lys
17 décembre 2021

Rouge Chlorophylle (Version longue inédite) 1ère partie : un extrait de Contes épouvantables et Fables fantastiques 2 proposé pa

Source : Aloys

 

 

– C’est toi, ma sœur…

Un demi-sourire se dessina sur la bouche de la déesse, superbe dans sa tunique virginale. Presque aussi superbe que la déesse Aphrodite.

– Tu m’aurais presque fait peur, le sais-tu ? Car, vois-tu, j’étais plongée dans mes pensées. Je crois qu’il s’agissait de pensées mélancoliques, mais je n’en suis pas sûre. Cela étant dit, il me plaît de revoir ton doux visage. Viens… Viens donc t’asseoir à mes côtés, s’il te plaît, Hestia. Cet isolement, bien que volontaire, n’a que trop duré. Mille fois trop. À présent, j’ai besoin d’un peu de compagnie. De nectar et d’ambroisie, pareillement, car je me sens assez… affaiblie. Regarde ça, Hestia… La vue n’est-elle pas époustouflante ? N’est-ce pas magnifique ? Je ne me lasserai jamais de ce spectacle qui s’offre à nos yeux : l’Olympe !

– C’est exact, approuva Hestia, la déesse du foyer. Nous sommes privilégiés, nous, les dieux, ma chère Déméter.

Une demi-heure s’écoula. Puis une autre demi-heure. Les deux sœurs restèrent là, contemplatives. Qu’est-ce donc qu’une poignée de minutes pour des divinités ? Ou même quelques années ? Leur existence, en aucune façon, n’est soumise au temps qui s’égrène.

En vérité, elle l’est, oui… Mais jamais les trois Moires n’oseraient menacer la vie des dieux de l’Olympe.

La mort, symbolisée par un fil coupé sur le métier à tisser du destin, était le choix d’Atropos, mais cette hideuse vieille femme décharnée, qui ressemblait davantage à un squelette voilé qu’à une femme âgée, craignait la colère de Zeus plus que tout. Sur un coup de colère, le grand Zeus aurait pu détruire leur merveilleux métier à tisser et leur raison d’être, par la même occasion.

Ils étaient donc, demeuraient donc, immortels.

Et le XXIe siècle agaçait fortement certains d’entre eux. Mais il agaçait Déméter, tout particulièrement…

– N’es-tu point lasse, ma sœur ? Car je le suis, moi. Je te l’avoue sans ambages… C’est pourquoi je suis restée assise ici, en tailleur, sur ce surplomb rocheux. Des heures et des heures durant.

Elle regarda l’horizon et fronça les sourcils. Son visage paisible se durcit quelque peu. Elle poussa un soupir, puis retrouva finalement sa quiétude. Hestia, elle, ne prononça pas une parole de plus. Elle préférait écouter. De tous les dieux, elle était la plus effacée.

– Des mois et des semaines, en réalité, reprit Déméter. Plusieurs fois, au loin, j’ai vu passer Apollon sur son char, ainsi que son demi-frère, Hermès, qui volait grâce à ses jolies sandales ailées à ses côtés. Ces deux-là sont enfin réconciliés, ha ha…

– Il était dans l’intérêt d’Hermès de s’aplatir devant son demi-frère. Apollon voulait lui arracher les bras, m’a-t-on rapporté.

– Apollon sait être magnanime, si on sait le charmer… Et Hermès a su le charmer grâce à sa lyre, le petit malin… J’écoutais le bruit de l’eau qui coule, enchaîna Déméter, le bruit de cette cascade majestueuse qui nourrit le fleuve, bien plus bas… Et s’il est vrai que son chant est passablement tonitruant, il a quelque chose d’apaisant. Car il n’est que pureté. Écoute le chant de l’eau purificatrice… C’est beau, n’est-ce pas ? Non, ne dis rien… Écoute avec moi, encore un instant, et savourons cet instant magique, ma très chère Hestia.

Mais le regard de la déesse s’assombrit une fois encore. Elle prit la main de sa sœur et la serra dans la sienne. Puis la relâcha.

– Qu’as-tu donc ? s’enquit Hestia. Tu peux tout me dire, tu le sais… Tu peux tout me confier.

– Ma sœur, si tu savais ! Il y a cette colère, là, en moi ! Cette haine… Peut-être ont-ils raison, en fin de compte ? Je parle de nos frères, bien entendu. La terre leur a tout donné. Tout ! Absolument tout ! Et de l’eau, et du bois, et le feu… Pas le feu, non. Suis-je sotte ! Ça, c’était un acte délibéré du Titan Prométhée, tu as raison. Mais, en l’enchaînant sur le mont Caucase et en le condamnant à avoir le foie continuellement dévoré par un aigle, Zeus l’aura bien puni ! Où en étais-je ? Il est vrai que je me trouble facilement… Et des fruits ! Les animaux ! J’ai même partagé avec eux mes grains de blé, Hestia ! Mes précieux grains de blé… Tous ces cadeaux auraient dû leur suffire, mais non ! Non, ma sœur ! Ceux de leur espèce : les mâles… Stupides singes arrogants ! Ils en ont voulu toujours plus. Et des armes, et des chars… La bombe H. Ils ont piétiné les fleurs avec leurs pieds ignobles ! Mes jolies petites fleurs sans défense. Pure mégalomanie, je te le dis ! Oppression, même ! Toujours plus de terres, mais pour quoi ? Toujours plus de pouvoir ? Ah ! Le pouvoir ! Ils piétinent la vie et leurs propres frères, et ce, au détriment de la nature. Toujours au détriment de la nature… Car ils ne respectent rien ! Car ils ne respectent personne ! Mais apprendront-ils, un jour ? J’ai des doutes, ma sœur… Ils soulagent leur conscience avec le « bio », mais le bio est encore pire, les idiots ! Mes arbres… Mes forêts… Ma belle Amazonie ! Je suis si lasse, ma sœur… Ils ont éventré la Terre et pollué les mers. Ils ont fait un trou énorme dans le ciel. Ils ont fait un trou gigantesque dans mon cœur… Nos frères ont peut-être raison, alors… Je ne me dresserai pas sur leur route, non. S’ils ont pris leur décision, qu’il en soit ainsi, et advienne que pourra… Qu’ils engloutissent les hommes dans les entrailles de la Terre ! Qu’ils les brûlent, tous, sans exception ! Que la planète vomisse sa lave sur les gouvernements corrompus ! Qu’ils fassent monter les eaux ! Qu’ils libèrent le Kraken ! Qu’ils laissent exploser la foudre ! Je m’en moque ! Je m’en moque éperdument. Je rebâtirai tout plus tard, et tout sera encore plus beau.

La furie prit une profonde inspiration pour retrouver un semblant de sérénité. Après quoi elle porta les mains à ses cheveux blond vénitien pour vérifier qu’elle n’était pas décoiffée. Elle poursuivit, « apaisée ».

– Peut-être, même, que je pourrais leur apporter mon aide ? Qu’en penses-tu ? Ou, alors, prendre les commandes ? Je pourrais faire cela, oui… Je le pourrais, très chère sœur. Car il est très imprudent de provoquer mère Nature ! Vous allez maintenant subir les foudres de Déméter, pauvres mortels ignares… Zeus ! Viens à moi, mon très cher frère ! Nous avons à discuter, toi et moi !

Dans le bruit terrible d’une explosion accompagnée de mille éclairs, le dieu des dieux apparut, majestueux, devant ses sœurs. Il tenait, à la main, le tonnerre. Il s’avança et invita sa sœur à parler librement de ses tourments.

Hestia préféra s’éclipser et laisser Déméter et leur frère et maître suprême en tête-à-tête.

 

A

 

Les rares survivants couraient en tous sens, tentant de leur échapper. Mais c’était chose vaine… Et se cacher était tout aussi inutile – elles les retrouvaient toujours. N’importe où. Comme si elles pouvaient sentir la vie.

Amérique du Nord, du Sud, Antarctique – quoique très peu en Antarctique… –, Asie, Europe, Afrique, Océanie… C’était partout la même chose. Elles étaient là, impitoyables, vicieuses, et elles traquaient les rescapés, se gorgeant de leur sang et les asséchant. À la fin, ils n’étaient plus que des momies. Des enveloppes grimaçantes et racornies.

« Maudits végétaux ! », entendait-on. Et puis, en l’espace de quelques secondes, c’était des hurlements rauques et des cris stridents quand les racines et les lianes les pénétraient, ou quand des plantes carnivores de tailles inhabituelles les capturaient pour les dévorer, puis les digérer lentement. Très lentement.

De son balcon tout fleuri, au premier étage, Angela vit l’horreur se déchaîner à la vitesse de la lumière dans le parc situé au pied de son immeuble résidentiel. Sa voisine, qui promenait ses deux chiens comme chaque jour à la même heure, fut la première à casser sa pipe. Une racine épaisse jaillit de la terre, s’enroula autour de sa cheville, remonta le long de sa jambe, de son tronc, s’enroula autour de son cou flétri et s’arrêta, menaçante, devant ses yeux cachés par de grosses lunettes noires. La racine ondula un moment à la façon d’un cobra, puis, rapide, elle pénétra dans la bouche de la vieille femme, lui remplit la gorge et, enfin, ressortit en faisant un trou énorme dans son abdomen.

Ensuite, ce fut le chaos. Le parfait chaos…

Les voisins et les gens encore dans le parc, tentant de fuir, subirent le même sort, à quelques variantes près – et peu ragoûtantes… Quant aux deux malheureux petits chiens, ils furent stoppés net dans leur course éperdue et gobés par une plante carnivore mutante, de genre dionaea muscipula. Autrement dit, une dionée attrape-mouche géante…

Quand les plantes sur son balcon grossirent tout à coup et l’attaquèrent fissa, Angela ne réfléchit pas et sauta dans le vide. Tant pis si elle n’était vêtue que de son vieux boubou bariolé tue-l’amour.

Quelques mois plus tard, Angela se réveilla en hurlant, sans rien savoir du temps qui s’était inéluctablement écoulé. Elle était allongée sur un lit, dans une chambre d’hôpital. Des mouches domestiques constellaient les murs, et d’autres bourdonnaient au-dessus d’une vieille tranche de jambon collée sur le plateau-repas trônant encore sur le chariot abandonné là. D’autres agonisaient sur le linoléum et faisaient le bonheur des fourmis.

Personne ne répondant à ses appels désespérés, il ne fallut que quelques minutes à Angela avant de réaliser qu’elle était seule. Complètement seule.

Terriblement ankylosée, elle mit un très long moment avant de réussir à se mettre sur son séant. Elle se leva, tituba, comme si elle était avinée, et arracha ses perfusions avec rage. Elle aurait aimé comprendre cette mésaventure.

L’odeur infâme soulevée par le porc conditionné la rendit malade. Elle se hâta de sortir de la pièce avant de vomir ses tripes. Ce fut un échec. Guère après, elle arpentait les longs couloirs vides où le silence n’était rompu que par le bruit des ampoules qui grésillaient. Elle essaya de se souvenir, faisant de gros efforts à cet effet, mais ce fut impossible.

Dehors, un spectacle des plus étranges s’offrit à ses yeux pas encore tout à fait réhabitués à la lumière vive du Soleil. La nature avait entièrement repris ses droits. Le monde était redevenu sauvage. Toutefois, pareils à de vulgaires carcasses de gnous et d’éléphants au milieu de la savane, d’inquiétants squelettes d’autocars et de citadines, calcinés ou désossés, ou les deux à la fois, demeuraient apparents. Moult réverbères et quelques kiosques, insolites dans ce décor, se dressaient encore, eux aussi, ainsi que des immeubles, çà et là, détruits en tout ou partie, tous envahis par les racines et les lianes omnipotentes.

Tout en commençant à explorer ce monde perdu, Angela remarqua des tracts collés sur des panneaux d’affichage :

 

EST-CE LA FIN DE NOTRE MONDE ?

 

Étrange… Mais Angela continua d’avancer et resta coite en découvrant, plus loin, un avion encastré dans ce qui devait être, autrefois, un multiplexe. Sidérée, elle ne vit pas la feuille de journal qui volait et qui se colla à son visage. Elle s’en saisit et découvrit les gros titres – une rétrospective stupéfiante. La publication était datée du dimanche 5 août.

 

1er AVRIL : LES PLANTES CONTRE-ATTAQUENT…

 

6 MAI : LES VOLCANS ÉTEINTS SE RÉVEILLENT !

LA FOUDRE TOMBE DU CIEL SUR LES RÉSIDENCES PRÉSIDENTIELLES, SUR LES SIÈGES DE L’OTAN ET DE L’ONU, ET SUR TOUTES LES BASES MILITAIRES !

 

LA FIN DU MONDE SERAIT-ELLE À NOS PORTES ?

5 AOÛT : LES PLANTES MUTANTES SONT PARTOUT ! DÉJÀ PLUSIEURS MILLIARDS DE MORTS. RETOUR DE MANIVELLE OU, PIRE : COLÈRE DIVINE ?

 

CECI POURRAIT ÊTRE NOTRE ULTIME PUBLICATION.

 

26 août, population mondiale : 1.

 

À suivre…

 

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