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Editions Chloé des Lys
25 octobre 2021

Joe Valeska nous propose Erzsébet (part. 2), un extrait de "Contes épouvantables et Fables fantastiques 1"

Source : Aloys

Erzsébet, redevenue la petite fille qu’elle était l’espace d’une poignée de secondes, se mit à tournoyer au milieu des lapins et des écureuils, des hiboux et des faisans, des cervidés… Comme si, de nouveau, elle était heureuse.

Elle voulut ensuite pénétrer dans la maisonnette, mais la porte était fermée à clé. Alors, elle cogna. Trois petits coups. Des bruits de pas frottant sur le plancher se firent rapidement entendre. Une vieille femme au teint grisâtre, toute courbée, vint ouvrir et lui demanda d’une voix chevrotante si elle pouvait faire quelque chose pour l’aider.

– Je le crois, répondit Erzsébet, recouvrant ses esprits. Vous pouvez m’aider, j’en suis certaine.

D’un geste adroit et prompt – excessivement contrariée, il faut le souligner, par la présence d’une étrangère dans ce qu’elle considérait toujours comme sa maison –, elle brisa la nuque de la pauvre vieille qui s’écroula lourdement à ses pieds, les yeux écarquillés.

Les animaux prirent la fuite.

La meurtrière se concentra alors sur l’image de la grand-mère et prit son apparence. Ensuite, elle la souleva par les chevilles et traîna son cadavre pour le cacher sous le lit, dans la chambrette.

Il ne lui restait plus qu’à attendre le retour de cette perle d’innocence dont lui avait parlé son beau miroir magique. Elle n’attendit pas bien longtemps. Au bout d’une heure, une voix toute guillerette, en provenance de la forêt, vint tintinnabuler jusque dans ses oreilles. Elle sourit.

– C’est moi, grand-mère ! s’écria l’enfant en poussant la porte entrouverte. Je suis rentrée ! Grand-mère ? Où es-tu ?

– Dans la chambre, ma chérie ! Je me repose. Je suis une très vieille dame, tu sais. Les vieilles dames se reposent.

Erzsébet gloussa.

À l’intérieur, tout son organisme et son squelette avaient entamé une fort douloureuse modification. Mais elle devait contenir cette souffrance atroce – l’enfant pourrait fuir ! Et tout serait alors fichu !

La petite fille encapuchonnée de rouge s’inquiéta… Elle fit rapidement irruption dans la pièce.

– Viens… Viens donc à mon chevet, mon rouge-gorge, dit Erzsébet sur ce ton diaboliquement cauteleux qu’elle maîtrisait à la perfection.

L’enfant s’approcha tout doucement, l’air passablement dubitatif.

– Grand-mère… Tes oreilles ! se récria-t-elle tout à coup, ouvrant de très grands yeux.

– Mes oreilles ? ricana l’intrigante. Quelque chose ne va pas avec mes oreilles ? Qu’y a-t-il ?

– Et tes yeux ! Et tes bras ! Et ta bouche !

Erzsébet, achevant sa monstrueuse métamorphose en hyène-garou, se redressa…

– C’est pour te manger, s’exclama-t-elle.

La bête se saisit de l’innocente qui s’époumonait, figée sur place, ne pouvant, à cause de son jeune âge, comprendre cette diablerie. Mais qui aurait pu comprendre cela ?

Un dernier hurlement strident glaça le sang des animaux de la forêt tout entière. Erzsébet se repaissait de l’enfant. Elle ne laissa ni viscères ni os. La seule chose pouvant témoigner du carnage était le sang un peu partout dans la chambrette. Des touffes entières de cheveux étaient également collées dans l’hémoglobine.

Erzsébet quitta la maisonnette sous sa forme animale, la panse bien tendue et ne pouvant s’empêcher de rire de façon machiavélique. Les atrocités commises ne la touchaient plus. C’était si banal ! Elle se hâta de regagner son château et sa tour.

– Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite et pure ? demanda-t-elle une fois de plus, à nouveau humaine après une seconde transformation éprouvante, bien plus éprouvante que la première.

– Toi, Majesté ! lui garantit le miroir. Toi. Il n’y a pas le moindre doute.

Erzsébet s’approcha d’un pas mal assuré, assez fébrile. Elle contempla son reflet. La jeunesse et la beauté lui avaient été rendues. Elle semblait n’avoir que trente ans. Trente ans tout au plus. Quelle importance, finalement, si le contrat qui la liait au démon arrivait bientôt à terme ? Aucune. Elle était jeune ! Et elle était belle ! Elle se mit à danser, merveilleusement insouciante. Après quoi elle ramassa le cadavre momifié d’une ancienne servante et dansa la valse avec elle.

Un sourire radieux illuminait la perfection de son visage.

– Je suis jeune ! Je suis belle ! criait-elle. Belle. Si belle !

Elle le clama encore et encore, tourbillonnant sans se lasser. Pourquoi diable réfréner ce bonheur enfin ressuscité ? Pourquoi tempérer cette vive euphorie ? Azazel avait fait des merveilles. Ingérer cette enfant innocente lui avait fait gagner vingt ans. Vingt ans ! Elle alla se mirer. Maintes et maintes fois. La fraîcheur de son visage l’enchantait. Elle se trouvait, même, plus belle que jamais. Elle était heureuse. Tellement, incroyablement heureuse.

– Savoure tes derniers jours… grommela une voix.

C’était elle… La voix du démon qui remontait du vide abyssal, du désert des souffrances éternelles. Cette voix troublante venue de l’autre côté du miroir, là où les images sont en constante métamorphose, pour s’insinuer dans le cerveau comme des asticots dans la chair en putréfaction.

Mais Erzsébet ne l’écouta pas. Elle fit comme si elle ne l’entendait pas. Elle savourait pleinement son bonheur. Elle était au comble de la joie. Il aurait pu pleuvoir de l’acide, tout autour – elle s’en moquait !

Une semaine passa, puis deux. Un lundi, puis un mardi, un mercredi, un jeudi et, enfin, un vendredi. Erzsébet n’avait plus que deux petites journées devant elle, mais sa beauté irradiait toujours, et de plus en plus, alors que l’échéance se rapprochait inéluctablement.

Le samedi, elle pensa passer cette dernière journée dans la forêt, au milieu des arbres et des petits animaux. Peut-être, même, la nuit tout entière. Son créancier intransigeant la retrouverait n’importe où. Autant respirer de l’air pur, alors, avant de respirer des odeurs de fumées éternelles dans l’Enfer qu’il lui composerait sur mesure… Un désert infini avec pour seule compagnie des boucs malodorants, très certainement.

Le Soleil venait de se coucher. Elle était allongée au bord d’un ruisseau et appréciait le clapotis. Quel bruit délicieux ! Tout lui avait semblé délicieux, ces dernières semaines. Elle avait même réussi à oublier qu’elle n’était qu’une méprisable meurtrière obsédée par sa propre image. Un monstre ! Une sorcière !

Se sentant observée, elle se releva prestement et fit volte-face. Un homme quadragénaire se tenait là, tout près d’un arbre. Ses longs cheveux étaient noirs comme le plumage d’un corbeau et ondulés. Il arborait une moustache épaisse, mais soignée. Il n’était pas particulièrement beau, mais quelque chose, émanant de tout son être, exerçait une irrépressible attraction. Il ne s’agissait pas simplement de charisme, non – c’était bien davantage que du charisme. L’aura de cet individu était ensorcelante. Hypnotique.

– Tu es le Dragon, dit Erzsébet à mi-voix. Je t’ai déjà vu, il y a fort longtemps. C’est bien toi.

– Vous devez me confondre avec mon père, gente dame. Il est vrai que nous nous ressemblons énormément.

– Votre père ? Votre père était un assassin !!! lâcha-t-elle. Un assassin et un immonde pleutre !

– Calmez-vous… Punirez-vous le fils pour les péchés du père ? susurra-t-il, charmant et charmeur, un brin conquérant.

Erzsébet fut incapable de répondre. Et l’homme, à son insu, sondait son esprit pernicieux. Il ébaucha un sourire, voyant se profiler une opportunité inespérée de cracher au visage de Dieu.

– Je peux vous délivrer du pacte qui vous lie à Azazel, et vous vivrez éternellement… Belle à tout jamais et, surtout, jeune à tout jamais. Vous n’avez qu’à hocher la tête. Dire oui.

Erzsébet resta sans voix. L’impie la fascinait.

Elle opina. Elle ne pouvait faire que ça, opiner.

À la vitesse de l’éclair, l’homme se dirigea vers Erzsébet et la plaqua contre un arbre. Elle se laissa faire quand il posa ses lèvres sur les siennes.

Puis il y eut cette douleur moyenne, dans son cou, mais considérablement érotique. Erzsébet supplia l’homme de la pénétrer, et quand il fut en elle, elle lui demanda son nom. « Vlad », répondit-il.

Dimanche, afin de réclamer son dû, le démon tout bouffi d’orgueil se matérialisa devant Erzsébet, laquelle l’attendait avec patience, sereine, dans sa pièce autrefois secrète au faîte de la plus haute tour de son château. Ses grands airs allaient vite être balayés, ainsi que les flammes qui accompagnaient ses pas.

– Échec… et mat !!! se moqua la morte-vivante, altière et d’humeur accorte. Notre pacte est nul et non avenu. Fini ! Je ne te dois rien. Ha ha !

– Non, c’est impossible… maugréa le démon, humant Erzsébet. Comment as-tu fait ? Comment ? Ton âme, je ne la sens plus. Cela ne se peut. Personne n’est plus rusé que moi. Personne… Sinon Lucifer ! Le maître ne va pas être très content… Comment as-tu fait ? Où as-tu caché mon âme ? Où ? Elle est à moi ! Je la veux ! Comment as-tu fait, maudite sorcière ? DONNE-MOI… MON ÂME !!!

– Ton âme ? Mais… elle est déjà loin, mon très cher Azazel ! Très, très loin. Le vampire m’a fait boire son sang divin, et j’ai vaincu mon terrible ennemi, enfin ! Ô temps ! Tu l’as finalement suspendu, ton vol ! Merci à toi, Vlad !

Erzsébet éclata de rire, amusée par les joues cramoisies de son visiteur – et le rouge foncé était déjà sa couleur naturelle ! Ses pupilles, complètement dilatées, traduisaient une haine farouche. Comme bien des fois dans l’Histoire, il s’était fait posséder. Lamentablement. Par une meurtrière démente. Pire ! Par une femelle.

– Tu oses te moquer d’Azazel ? Lucifer te fera payer cette traîtrise, Erzsébet ! Tu souffriras plus qu’aucun être…

– J’ose tout ! le coupa-t-elle. Car, avec la jeunesse et la beauté, je possède tout ! Absolument tout, tu m’entends ? Maintenant, mon pauvre petit Azazel, retourne dans ton désert et va baiser tes amis les boucs !

Ainsi, débuta la légende de la Comtesse Dracula…

 

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Merci à vous d’avoir pris de votre temps pour découvrir cette version inédite d’Erzsébet. Toutes les histoires incluses dans les rééditions de mes Contes épouvantables sont soit des versions longues, soit des versions non censurées, soit les deux en même temps. Je remercie Christine Brunet de me permettre de vous faire redécouvrir mon petit univers horrifique et vous dis à bientôt.

Prenez bien soin de vous, Joe Valeska

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