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Editions Chloé des Lys
16 mars 2014

"Gilbert et autres récits de Bichel de ville" de Jean Claude Slyper

Extrait de la nouvelle La Toise

Parfois, une conversation s’impose sans que l’on sache très bien pourquoi et comment. Ainsi, aujourd’hui, Bichel et ses collègues évoquent leur taille. C’est un drôle de sujet de conversation, passionnant, captivant, dont on peut bien se demander pourquoi nuls autres qu’eux s’y intéressent. Ç’a commencé à peine la porte de la crêperie franchie, pour quelque idiotie, Maurice, l’un des deux collègues, l’autre avançant le patronyme de Besace. Personne ne le croit, mais, dans l’impossibilité de lui en trouver un autre, tout le monde l’appelle ainsi, Besace ou La Besace, ça dépend de son état post-libations. En tout cas, c’est Maurice qui a attaqué le premier, à propos d’un problème de taille. Maurice a toujours des problèmes de taille insolubles : ainsi, la serveuse blonde à qui il fait les yeux doux depuis des semaines doit bien mesurer un mètre soixante-dix puisque lui-même mesure un mètre soixante-douze et la dépasse d’une petite mèche de cheveux. Sur quoi, La Besace – ce jour-là, il s’est rempli la panse – éclate d’un rire sarcastique : non mais qu’est-ce qu’y faut pas entendre, toi, un mètre soixante-douze, mais tu erres dans l’espace de tes illusions – il ne peut pas s’empêcher de faire des phrases idiotes, La Besace –, toi, un mètre soixante-douze, impossible mon cher ! Moi-même, qui te rends a few centimètres – de plus, il se targue de parler étranger, il appelle ça son polyglottisme naturel et instinctif –, je me hisse jusqu’à un mètre soixante-quatorze, il est donc parfaitement inimaginable que toi, un géant par rapport à moi, mesures un mètre soixante-douze ! Tu dois réviser ton jugement et penser plutôt à, au moins, un mètre soixante-seize !

Quoi ! Quoi ! Bichel n’en croit pas ses oreilles. Il court derrière ses deux compagnons : Quoi ! Quoi ! Et moi ? Hé, attendez ! Et moi, quoi ?

 

L’auteur en quelques mots 

Je suis né à Paris en 1953, j’ai fait de la musique de 1977 à 1984, puis je suis devenu correcteur de presse pour gagner mon pain, je le suis toujours.

Je ne dirais pas que mon univers est infini, rien ne l’est, mais il est assez vaste pour aller de la musique, évidemment, à la littérature, bien sûr, en passant par le cinéma, la peinture, l’architecture, les sciences humaines, l’anthropologie, l’archéologie, l’histoire, la géographie, le sport, la gastronomie, le sport, la gastronomie, et un raton laveur. Les voyages me charment même si je n’en fais pas souvent, l’avion ne m’attire guère, je préfère le bateau : quelques jours sur les mers peuvent être épatants, surtout quand on croise des baleines comme ça m’est arrivé, sans prévenir, au large de l’Irlande.

Capture d’écran 2014-03-16 à 11

 

L’interview de Jean Claude Slyper

D’où viens-tu ? Je suis né à Paris, je vis à Paris, mais il y a d’autres villes qui m’ont charmé, emballé, attiré : Berlin, Londres, Rome, Bruxelles, Dublin, Erevan, Marseille. Je pratique la basse et la contrebasse. Depuis tout petit j’aime arpenter la ville de jour comme de nuit, surtout la nuit, quand tout est silence, taches de lumière et ombre. J’adore rouler sur de petites routes et découvrir de cette façon les pays, des chemins de traverse en quelque sorte, je reconnais ne pas faire œuvre écologique à rouler ainsi en voiture mais je me donne bonne conscience en me disant que ce serait pire en avion.

 

Depuis quand écris-tu ? J’écris depuis le milieu des années soixante-dix. De petits textes, souvent pour composer des chansons quand je jouais en groupe. Je n’ai pas le souvenir d’un événement déclencheur en particulier, plutôt mon appétence pour les histoires, les contes, les scénarios qu’enfant j’imaginais pour mes jeux, les rédactions à l’école.

 

Nouvelles ou romans ? Comme je le disais, mes premiers textes étaient courts puisque paroles de chansons, puis ils se sont allongés pour raconter des histoires plus longues. En réalité, je ne choisis pas vraiment entre la nouvelle et le roman, entre un écrit d’une page et un autre de centaines de pages. La rapidité et la brièveté me replongent dans mon passé musical, c’est un jeu de raconter vite une idée ou une histoire, trouver le tempo, la musicalité. Evidemment, certains sujets demandent longueur, largeur et temps afin de les fouiller et d’en déterrer les secrets.

 

L’écriture pour toi ? Une définition de l’écriture : ça peut être le besoin de figer sur un support stable l’activité humaine ; ça peut être fouiller ce que l’on appelle l’âme ; c’est aussi essayer de comprendre comment et pourquoi évoluent les femmes et les hommes dans leur environnement. Ecrire peut être une thérapie. Ecrire, c’est aussi être un conteur dépositaire de la culture et de l’histoire de sa famille, de son clan, de son peuple. Ecrire c’est toucher l’universalité. C’est aussi et surtout un outil pour découvrir et comprendre le monde.

 

Ton style ? Mon style est assez classique, j’aime jouer avec les mots, les situations dans lesquelles nous plonge le quotidien.

 

Tes personnages ? Mes personnages sont dans l’interface, hommes, femmes, animaux ou parfois objets, ils ou elles se frôlent, se frottent, se heurtent comme ils ou elles se cognent dans la réalité de leur vie, de la ville. Ils ou elles sont dans le décalage entre leur vision d’eux-mêmes ou d’elles-mêmes et l’image que leur renvoient les autres. Ils ou elles agissent rarement comme on est supposé le faire, sans penser à mal, parfois, ils ou elles sont presque aussi absurdes que leur vie, que la vie. Leur naissance peut être provoquée par un souvenir, une odeur, un paysage, une discussion, une image, un paradoxe, il y a souvent une touche d’immatériel, de saugrenu ou fantastique, ils ou elles le sont souvent, parfois, jamais. Ils ou elles me confrontent à la difficulté de la communication entre ce que voient mes yeux, ce qu’entendent mes oreilles, ce que pense mon cerveau et ce que voit l’autre, ce qu’il ou elle entend, ce qu’il ou elle pense, ou pas d’ailleurs ; souvent mes personnages ne pensent à rien juste à continuer à vivre.

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