Critique de Jean-Paul Gavard-Perret
Jean-Paul Gavard-Perret
GILLES-MARIE CHENOT : FLUX ET ALLUVIONS
Gilles-Marie Chenot, Les semences pourpres de l'Innocence, Editions Chloé des
Lys, Barry (Belgique), Le chant du danseur, Editions du Cygne, Paris.
Rien de mieux,
afin de définir la poétique de Chenot, que de reprendre la phrase liminaire
d'un de ses poèmes :
"C'est dans un vide luxuriant que l'homme de chair et de sang entre par
les cinq portes immobiles du prélude onirique".
C'est ainsi que l'écriture, à travers le clavier des sens, se déploie
et élève des icônes. Et s'il est des poèmes où les vers deviennent comédie
parce que la volonté de s'y montrer est plus forte que le désir d'être, cela
n'est pas le cas chez l'auteur des "Semences Pourpres". L'action
poétique se dévoue à l'affect et les volumes des vers s'enflent jusqu'à devenir
prose poétique comme la terre boit l'eau.
Les images, de fragments en fragments, de seuils en seuils, de portes en
portes, plus que décors deviennent mouvements ou éclairs. Elles ne se
contentent pas de comparer elles deviennent symboles qui agrandissent le monde
plus qu'elles n'étalent leurs ornements. Leurs lames bleutées ou bistres
rugissent, elles ne rabattent pas la pensée mais à l'inverse l'érigent dans une
rhétorique qui n'a rien de redondante. Bref elles enflamment de leurs propres
chairs, créent des orages que le lecteur ne se contente pas de regarder par la
fenêtre de chaque page : il est pris dedans, dans l’œil d'un cyclone de
l'imaginaire. Il permet de toucher au cœur des choses pour l'ensemencement de
leurs jachères et des nôtres.
Dans le silence, ou contre lui, la parole n'est pas que poussière : elle est
chair colorée, volcanique, elle rend le monde nécessairement instable plus que
réifié. Et là demeure l'essentiel. Contre les visions courtes et donc négatives
(mais peut-on alors encore parler de vision ?) Gilles-Marie Chenot dégage sa
poétique du dessin, de la circonscription, du contour et de l'ornement. La
conflagration de ses images filantes donne une substance au temps. Ce dernier
devient une pulsation, une insolence afin qu'on n'y engloutisse pas le trop peu
qu'on est sans en savourer les alluvions. Surgit ainsi une sollicitation
perpétuelle et aquatique (signe de naissance) là où il n'existe plus de
substance et de solidité mais la mouvance de l'inattendu.
C'est de la sorte qu'une telle poétique transforme les apparences et devient
cette création qui marque la perception (fût-elle onirique) la plus claire et
les sentiments les plus intimes. Il existe aussi une éloquence lyrique qui se
moque de l'éloquence. Parfois elle ne renie ni le silence ni la solitude
même si d'ailleurs les feux de la création plaident (non coupables) pour une
communion des sens et du sens là où
"un fleuve parcourt l'océan dans une goutte d'eau virginale et où un
vent d'ouragan se promène dans une brise de printemps".
Tout est là à qui veut comprendre ce qu'il en est d'une telle oeuvre mais
aussi de la vie.